En Chine, la « capitale du meuble » tourne à plein régime malgré l'offensive de Trump

03 November

2025

source:LesEchos

A Foshan, le Louvre International Furniture Exhibition Center est un énorme centre commercial de 5 étages entièrement consacré au meuble. (Photo Bobby Yip/Reuters)

Par Raphaël Balenieri

Publié le 29 oct. 2025 à 16:30

 

Plus de 2.400 marques chinoises et internationales, sur 5 étages : à Foshan, la capitale du meuble made in China, le Louvre International Furniture Exhibition Center résume à lui tout seul le poids acquis par la Chine dans cette industrie.

Dans ce centre commercial haut de gamme, situé au bord d'une autoroute, des fabricants chinois aux noms baroques comme Baily, Mucham Vuitton, Louis Noble ou encore Bottega Radice, exposent dans leurs showrooms canapés, fauteuils et autres tables de repas - y compris de nombreuses copies. « Sélection méticuleuse, matériaux premium, écoresponsabilité garantie », lit-on sur les panneaux publicitaires.

En cette matinée d'octobre, les affaires vont bon train malgré l'offensive douanière de Donald Trump. Fin septembre, le président américain avait annoncé une taxe de 50 % sur les meubles de cuisine et les lavabos, ainsi qu'une autre taxe de 30 % sur les sofas et les fauteuils, qui s'ajoutaient aux quelque 55 % s'appliquant aux autres produits chinois. Des mesures ciblant directement la Chine, qui fabrique à elle seule environ 40 % des meubles de la planète, selon Mordor Intelligence.

« Les taxes ont pénalisé le pouvoir d'achat des Américains, pas la Chine ! »

Mais à Foshan, les 30.000 fabricants et les 300.000 personnes qui, directement ou indirectement, vivent du meuble, restent relativement sereins. Au rez-de-chaussée, sous la voûte décorée de drapeaux du monde entier, des acheteurs comparent des chaises style Chandigarh et essaient les fauteuils de massage, à côté d'énormes sculptures de choux en jade, un légume synonyme de richesse en Chine.

LIRE AUSSI :

DECRYPTAGE - Pourquoi la Chine a brisé la trêve avec Donald Trump

La Chine répond point par point aux accusations de Washington

« Quand Trump est arrivé au pouvoir en début d'année, il y a eu un léger impact. Mais les clients qui aiment nos produits continuent d'acheter. Et puis les coûts de production en Chine sont toujours plus faibles qu'aux Etats-Unis. Avec les droits de douane, l'importateur gagne moins, mais pour nous, le prix de vente reste le même. Donc au final, les conséquences ne sont pas drastiques », explique un responsable de MoreToo, une marque qui exporte 80 % de sa production à l'étranger.

« La Chine a toujours une main-d'oeuvre abondante et de grandes capacités industrielles. Aux Etats-Unis, le coût du travail est plus élevé. Même avec des droits de douane, importer des meubles de Chine revient donc toujours moins cher que produire localement aux Etats-Unis. Les taxes ont pénalisé le pouvoir d'achat des Américains, pas la Chine ! » sourit Feng Peipei, la directrice du showroom de 81 Home, une autre marque de meubles de Foshan.

Commandes à plus de 200.000 euros

En termes de prix, Foshan semble en effet imbattable - à tel point que des acheteurs du monde entier viennent spécialement dans cette métropole industrielle du Guangdong, près de Canton, pour se fournir en meubles.

« Le mois dernier, deux familles anglaises sont venues à Foshan pour meubler leurs maisons. En tout, il y en a eu pour plus de 217.000 euros ! dit-on chez MoreToo. Ici, on peut trouver des copies à l'identique environ 10 fois moins chères, pour une qualité similaire. » « Il faut court-circuiter tous les intermédiaires pour avoir de bons prix, nuance Modar Mansouri, un Saoudien rencontré dans les allées. Mais sinon, c'est de la bonne qualité. »

LIRE AUSSI :

La guerre commerciale reprend de plus belle entre la Chine et les Etats-Unis

Cet avantage sur les prix, Foshan le doit à la concentration de la chaîne de valeur. Des matières premières aux fabricants, en passant par la livraison à l'étranger, toute la filière est présente ici. Un tiers des entreprises chinoises du secteur sont basées à Foshan, selon la China Business Review. « Qu'il s'agisse des fournisseurs de bois, de tissus, des pièces métalliques, tout le monde est ici, même les designers. Cela permet d'avoir des prix bas et un meilleur contrôle qualité », témoigne le responsable de MoreToo.

Acheteurs indiens et saoudiens

Mais si Foshan a été peu touchée par la guerre commerciale de Trump, c'est aussi que les fabricants chinois de meubles, échaudés par son premier mandat, avaient déjà pris soin de réduire leur exposition aux Etats-Unis. « Notre activité aux Etats-Unis est marginale et très éclatée », raconte l'employé de MoreToo. Une diversification qui a eu lieu à l'échelle du pays. Tous produits confondus, les Etats-Unis n'absorbaient plus que 10 % des exportations chinoises en août, contre plus de 15 % avant l'offensive douanière de Trump.

LIRE AUSSI :

EN CHIFFRES - Après avoir évité le pire, l'économie chinoise entre dans le dur

Débouchés commerciaux, minerais : la Chine pivote de plus en plus vers l'Asie centrale

« En réalité, ce mouvement a commencé en 2008, après la crise financière internationale. Les entreprises chinoises du meuble qui servaient le marché américain ont déménagé leurs usines ailleurs en Asie », se souvient Li, un responsable de Nilanka, une nouvelle marque.

 

Un client teste un fauteuil en mai 2025 au sein du Louvre International Furniture Exhibition Center.Photo Bobby Yip/Reuters

 

Vingt ans plus tard, au Louvre International Furniture Exhibition Center, les acheteurs viennent désormais d'Inde, du Moyen-Orient et d'Asie Centrale. « Avant, on achetait en Arabie saoudite, mais c'est devenu cher. On est venu ici pour comparer les prix et la qualité » raconte Ahmed Salhe, un jeune Saoudien dans l'immobilier qui cherche à meubler 60 appartements à vendre. « Les Indiens achètent à Foshan et revendent dans les showrooms de Calcutta, Bombay et Dehli », explique Murty, qui travaille dans le commerce international à Foshan.

Nostalgie du marché américain

Dans les allées du centre commercial, la signalisation est d'ailleurs indiquée en arabe, en hindi et en cyrillique. Les Russes sont toujours présents à Foshan, mais leur pouvoir d'achat a diminué du fait de la guerre en Ukraine, expliquent les marchands.

« Avant la pandémie, on travaillait surtout avec les Etats-Unis et l'Europe. Mais aujourd'hui, on travaille davantage avec l'Asie du Sud, notamment grâce à la demande des hôtels et des resorts, et le Moyen-Orient, constate Feng Peipei. Nous nous sommes diversifiés pour ne plus dépendre de quelques gros marchés. »

Dans le showroom flambant neuf, la jeune femme semble toutefois nostalgique quand elle évoque le marché américain aujourd'hui disparu. « Entre 2016 et 2018, c'était nos meilleures années. On vendait des canapés haut de gamme à plus de 2.000 dollars. » Même si les pays du « Sud global », selon la terminologie en vogue à Pékin, ont pris le relais, le marché américain reste le Graal pour les exportateurs et les marques de la deuxième économie mondiale.

Raphaël Balenieri (Envoyé spécial à Foshan)

 

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A Foshan, le Louvre International Furniture Exhibition Center est un énorme centre commercial de 5 étages entièrement consacré au meuble. (Photo Bobby Yip/Reuters)

Par Raphaël Balenieri

Publié le 29 oct. 2025 à 16:30

 

Plus de 2.400 marques chinoises et internationales, sur 5 étages : à Foshan, la capitale du meuble made in China, le Louvre International Furniture Exhibition Center résume à lui tout seul le poids acquis par la Chine dans cette industrie.

Dans ce centre commercial haut de gamme, situé au bord d'une autoroute, des fabricants chinois aux noms baroques comme Baily, Mucham Vuitton, Louis Noble ou encore Bottega Radice, exposent dans leurs showrooms canapés, fauteuils et autres tables de repas - y compris de nombreuses copies. « Sélection méticuleuse, matériaux premium, écoresponsabilité garantie », lit-on sur les panneaux publicitaires.

En cette matinée d'octobre, les affaires vont bon train malgré l'offensive douanière de Donald Trump. Fin septembre, le président américain avait annoncé une taxe de 50 % sur les meubles de cuisine et les lavabos, ainsi qu'une autre taxe de 30 % sur les sofas et les fauteuils, qui s'ajoutaient aux quelque 55 % s'appliquant aux autres produits chinois. Des mesures ciblant directement la Chine, qui fabrique à elle seule environ 40 % des meubles de la planète, selon Mordor Intelligence.

« Les taxes ont pénalisé le pouvoir d'achat des Américains, pas la Chine ! »

Mais à Foshan, les 30.000 fabricants et les 300.000 personnes qui, directement ou indirectement, vivent du meuble, restent relativement sereins. Au rez-de-chaussée, sous la voûte décorée de drapeaux du monde entier, des acheteurs comparent des chaises style Chandigarh et essaient les fauteuils de massage, à côté d'énormes sculptures de choux en jade, un légume synonyme de richesse en Chine.

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« La Chine a toujours une main-d'oeuvre abondante et de grandes capacités industrielles. Aux Etats-Unis, le coût du travail est plus élevé. Même avec des droits de douane, importer des meubles de Chine revient donc toujours moins cher que produire localement aux Etats-Unis. Les taxes ont pénalisé le pouvoir d'achat des Américains, pas la Chine ! » sourit Feng Peipei, la directrice du showroom de 81 Home, une autre marque de meubles de Foshan.

Commandes à plus de 200.000 euros

En termes de prix, Foshan semble en effet imbattable - à tel point que des acheteurs du monde entier viennent spécialement dans cette métropole industrielle du Guangdong, près de Canton, pour se fournir en meubles.

« Le mois dernier, deux familles anglaises sont venues à Foshan pour meubler leurs maisons. En tout, il y en a eu pour plus de 217.000 euros ! dit-on chez MoreToo. Ici, on peut trouver des copies à l'identique environ 10 fois moins chères, pour une qualité similaire. » « Il faut court-circuiter tous les intermédiaires pour avoir de bons prix, nuance Modar Mansouri, un Saoudien rencontré dans les allées. Mais sinon, c'est de la bonne qualité. »

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Cet avantage sur les prix, Foshan le doit à la concentration de la chaîne de valeur. Des matières premières aux fabricants, en passant par la livraison à l'étranger, toute la filière est présente ici. Un tiers des entreprises chinoises du secteur sont basées à Foshan, selon la China Business Review. « Qu'il s'agisse des fournisseurs de bois, de tissus, des pièces métalliques, tout le monde est ici, même les designers. Cela permet d'avoir des prix bas et un meilleur contrôle qualité », témoigne le responsable de MoreToo.

Acheteurs indiens et saoudiens

Mais si Foshan a été peu touchée par la guerre commerciale de Trump, c'est aussi que les fabricants chinois de meubles, échaudés par son premier mandat, avaient déjà pris soin de réduire leur exposition aux Etats-Unis. « Notre activité aux Etats-Unis est marginale et très éclatée », raconte l'employé de MoreToo. Une diversification qui a eu lieu à l'échelle du pays. Tous produits confondus, les Etats-Unis n'absorbaient plus que 10 % des exportations chinoises en août, contre plus de 15 % avant l'offensive douanière de Trump.

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Nostalgie du marché américain

Dans les allées du centre commercial, la signalisation est d'ailleurs indiquée en arabe, en hindi et en cyrillique. Les Russes sont toujours présents à Foshan, mais leur pouvoir d'achat a diminué du fait de la guerre en Ukraine, expliquent les marchands.

« Avant la pandémie, on travaillait surtout avec les Etats-Unis et l'Europe. Mais aujourd'hui, on travaille davantage avec l'Asie du Sud, notamment grâce à la demande des hôtels et des resorts, et le Moyen-Orient, constate Feng Peipei. Nous nous sommes diversifiés pour ne plus dépendre de quelques gros marchés. »

Dans le showroom flambant neuf, la jeune femme semble toutefois nostalgique quand elle évoque le marché américain aujourd'hui disparu. « Entre 2016 et 2018, c'était nos meilleures années. On vendait des canapés haut de gamme à plus de 2.000 dollars. » Même si les pays du « Sud global », selon la terminologie en vogue à Pékin, ont pris le relais, le marché américain reste le Graal pour les exportateurs et les marques de la deuxième économie mondiale.

Raphaël Balenieri (Envoyé spécial à Foshan)

 

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